Cet article a été rédigé dans le cadre d’un carnaval de blogueurs sur le thème de la nature et les apprentissages. Merci au blog La chasse au trésor pédagogique de m’y avoir conviée !
Lorsqu’on m’a proposé d’écrire un article sur la nature et les apprentissages, je me suis d’abord demandée ce que je pourrais bien écrire ; j’avais même du mal à relier cette thématique à notre blog dont les objets sont l’apprentissage, ses troubles, ses joies, la littérature jeunesse et l’écriture.
Je me suis ensuite souvenue de mes cours de littérature ; dans le fond, il me semble que ce retour à la nature, retour si attendu sans doute légitimement, mérite d’être questionné. Idéalisation ? Modèle salutaire ?
Je ne parle pas ici de la nature lorsqu’elle intervient en marge des écrits, comme un cadre ; je parle de la nature lorsque son utilisation symbolique nous apprend quelque chose sur nous. Autrement dit, comment les écrivains ont-ils pensé leur rapport à la nature pour en savoir plus sur eux-mêmes et leurs contemporains ?
Le mythe du bon sauvage, les thèses contradictoires des philosophes des lumières
À la fin du XVe siècle, les grands voyages (Christophe Colomb découvre l’Amérique en 1492, Vasco de Gama les Indes en 1497, Magellan le Canada en 1519), et les récits qui en résultent, révèlent l’existence d’autres peuples, d’autres cultures. Les Européens prennent alors conscience qu’ils ne sont pas seuls au monde et qu’il existe d’autres façons de vivre. Au XVIe siècle, Montaigne, dans Des cannibales et Des coches, fait l’éloge du « bon sauvage », cet homme représentatif de l’ailleurs, de l’autre monde, cet individu resté à l’état de nature, remarquable par ses qualités morales.
Ce qui caractérise celui-ci, c’est qu’il n’a pas été dévoyé par la civilisation ; il a su profiter au mieux des bienfaits nourriciers de la nature. Chez Montaigne, les peuples qualifiés de « barbares » ne le sont que dans la mesure où leurs usages et leur façon de vivre, diffèrent de celles des Européens. Ce ne sont pas des hommes cruels, féroces, mais plutôt des hommes en adéquation avec la nature, contrairement aux Européens que la civilisation a pervertis.
Au XVIIIe siècle, les récits de voyages (Voyage autour du monde de Bougainville – 1771, Les six voyages de Jean-Baptiste Tavernier, Voyage en Perse et en Inde orientale de Jean Chardin) se multiplient et continuent à propager l’image idyllique du « bon sauvage », symbole d’un paradis perdu. Mais cette représentation relève du « mythe » au sens étymologique, soit une fable, une légende, comme le souligne Rousseau dans la préface de son Discours sur l’origine des inégalités : « … un état qui n’existe plus, qui n’a peut-être jamais existé, qui probablement n’existera jamais… ».
L’état de nature, un état idéal ?
Rousseau présente l’état de nature comme un état idyllique, un âge d’or. Selon lui, le progrès, la civilisation, corrompent cet état primitif et ne créent que du désagrément pour l’homme. Il rejoint ainsi la thèse énoncée par Montaigne.
« Tant que les hommes se contentèrent de leurs cabanes rustiques, tant qu’ils se bornèrent à coudre leurs habits de peaux avec des épines ou des arêtes, à se parer de plumes et de coquillages, à se peindre le corps de diverses couleurs, à perfectionner ou à embellir leurs arcs et leurs flèches, à tailler avec des pierres tranchantes quelques canots de pêcheurs ou quelques grossiers instruments de musique ; en un mot tant qu’ils ne s’appliquèrent qu’à des ouvrages qu’un seul pouvait faire, et qu’à des arts qui n’avaient pas besoin du concours de plusieurs mains, ils vécurent libres, sains, bons, et heureux autant qu’ils pouvaient l’être par leur nature… » (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, 1755).
Voltaire, quant à lui, compare ici les hommes « sauvages » à des animaux et plus particulièrement à des animaux vivant en société, sur terre, ou dans les mers. Ces bêtes, qui vivent en colonie, démontrent ainsi qu’il est naturel de vivre en société et ce postulat s’applique également à l’homme.
« Tous les hommes qu’on a découverts dans les pays les plus incultes et les plus affreux vivent en société comme les castors, les fourmis, les abeilles, et plusieurs autres espèces d’animaux. »
Ce que nous apprend la thèse naturaliste : Zola et ses comparses, le 19e siècle !
La nature est le décor idéal pour la thèse naturaliste de Zola. L’être humain est le produit de son milieu et de son hérédité dont il ne peut nullement s’affranchir. Ce que nous apprend la nature, selon les théories déterministes de Darwin, c’est qu’il existe des lois qui influencent le destin des hommes. Il crée donc des personnages qui sont des bonshommes physiologiques évoluant sous l’influence des milieux. Zola dit ainsi qu’il lui faut « faire mouvoir les personnages dans une histoire particulière pour y montrer que la succession des faits y sera telle que l’exige le déterminisme des phénomènes mis à l’étude ». Pour ce faire, il faut « prendre les faits dans la nature, puis étudier le mécanisme des faits en agissant sur eux par les modifications des circonstances et des milieux, sans jamais s’écarter des lois de la nature ».
Et dans la poésie de la fin du 19e siècle ?
Avec les romantiques, le thème de la Nature devient majeur. Il s’agit de l’incarnation la plus tangible de Dieu. C’est par elle, comme on le voit chez Hugo et Lamartine, que le divin manifeste le mieux sa grandeur. Mais pour la plupart des romantiques, le spectacle de la Nature ramène d’abord à l’Homme lui-même : l’automne et les soleils couchants deviennent dès lors des images du déclin de nos vies…
La Nature, enfin, est un lieu de repos, de recueillement ; en s’y arrêtant, on oublie la société, les tracas de la vie mondaine. Il est d’ailleurs conséquent à l’esprit romantique qu’on se confie plus aisément à un lac qu’à un ami en chair et en os. C’est bien là le signe, à la fois, du dédain des romantiques pour l’univers social et du goût de ces poètes pour la méditation, pour un retour sur soi que la Nature, comme un miroir, ne fait que favoriser.
Ce que je retiens après ce tour d’horizon littéraire
Il est bien-sûr tout à fait évident que la connexion à la nature est un enjeu fondamental de l’éducation. Prendre soin de la nature signifie mieux la comprendre. On ne peut pas ignorer pour autant que le concept de nature est la construction intellectuelle de ce que l’on projette sur elle. Ce concept s’inscrit également dans une filiation.
Ce qui me paraît frappant, au-delà du concept de nature, c’est la nécessité de s’ouvrir à ce qui nous entoure d’une façon globale et de s’y intéresser, vraiment. Dans cette perspective, nous pensons que le langage en général, et l’écriture en particulier, ont un rôle fondamental à jouer ; c’est pourquoi nous développons Plume, une plateforme d’écriture qui développe le plaisir d’écrire.
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